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Honorer une vie simple – Entretien avec Alexander Zeldin

Regards de la dramaturge

Autour du spectacle "The Confessions"

Rencontre avec Alexander Zeldin à l'occasion de sa nouvelle création The Confessions, à l'affiche de la Comédie de Genève du 8 au 12 novembre 2023.


Une mort dans la famille, présentée à la Comédie de Genève la saison dernière, s’inspirait en partie de la perte de votre père puis de votre grand-mère. Dans The Confessions, c’est la vie de votre mère qui est au centre. Quelle a été la genèse du projet ?

J’ai interrogé ma mère et je l’ai fait parler pendant plusieurs jours. Sa vie est la base de l’histoire que j’ai écrite, même si ce n’est pas une reconstitution exacte. L’important est qu’il ne s’agit pas d’une vie fictive, c’est une vraie vie ! Une vie à la fois extrêmement spécifique et universelle.

Et puis je voulais m’essayer à un autre type de dramaturgie, celle du temps long. Le défi immense des Confessions, c’était de construire un spectacle dont l’histoire est celle d’une vie entière avec un moyen d’expression, le théâtre, qui favorise plutôt ce que dit Aristote, à savoir une action simple, dans un seul lieu, et un seul temps.

Mais l’idée de départ était d’honorer une vie simple. De donner de la dignité à une vie ordinaire. Ce qui est arrivé au personnage d’Alice peut parler à beaucoup de gens.

 

Comment avez-vous articulé le rapport entre réalité et fiction dans le processus de création ?

Une trace de la vie..., c’est ça que je cherche à saisir lorsque j’écris. Ce sont des auteurs comme Duras et Tchekhov qui m’influencent. J’utilise un mensonge – le théâtre – pour m’approcher de la vie, de la réalité. Cette pièce de théâtre ne représente pas la vie de ma mère, elle est basée sur des faits qui sont ceux que m’a racontés ma mère.

J’ai inventé beaucoup de choses, mais cette part d’invention est ancrée dans des circonstances qui sont vraies. C’est le devoir premier de la littérature : tuer la fiction, l’inventé, le rocambolesque, pour faire place à ce qui révèle la vie. C’est cette sensation de reconnaissance que je cherche.

J’essaye de trouver des stratégies pour faire ressentir le réel. Je me sens très éloigné d’une fiction qui ne serait que fiction, celle qui cherche l’échappée, l’envol, par lequel on peut oublier. La fiction est, pour moi, un outil pour nous rapprocher de ce qui est vrai.

 

Est-ce pour cela que vous allez aussi loin dans l’intime, en abordant notamment la question de la violence sexuelle ?

Oui. Mes pièces traitent souvent de choses intimes ou taboues, parce que, pour moi, elles ne sont pas taboues mais criantes de vérité. Donc elles ont besoin d’être mises au grand jour. Pourquoi le spectacle s’appelle The Confessions ? Parce que parler de violence sexuelle, et même de vie sexuelle, avec sa propre mère, ce n’est pas une conversation habituelle. Et, finalement, pourquoi ? C’est aussi la question que je pose à travers ce spectacle.

 

Tout cela raconte finalement l’histoire d’une émancipation...

Le thème principal de la pièce est l’émancipation, oui, mais aussi le choix. Quels sont les choix que l’on fait ? Comment obtient-on la possibilité de choisir nous-mêmes ce qu’est notre vie ? Beaucoup de choix sont faits à notre place ou nous sont imposés. À cet endroit-là, la pièce touche, je l’espère, à l’universel. On doit se rendre compte à quel point Alice n’a pas le choix. Sa liberté est enfouie sous des tonnes de pressions structurelles, sociales, historiques qui sont si difficiles à soulever. C’est finalement le thème de toutes mes pièces : la quête de la liberté.

 

L’hyper-réalisme auquel vous nous avez habitués est ici quelque peu déconstruit... Pourquoi avoir souhaité nous montrer les coulisses du théâtre ?

Je n’analyse pas ce que je fais en termes esthétiques, ça m’ennuie. Je cherche simplement comment exprimer une histoire de la manière la plus honnête possible, sans a priori sur la forme qu’elle va prendre. Je voulais raconter cette histoire-là, et j’ai dû chercher une forme qui lui convienne. Pas le contraire. La forme naît de ce qu’on a à dire. Ce qui est important, ce qui vient d’abord, c’est la charge de vie dans l’histoire. Trouver la forme prend beaucoup de temps, parfois des années, il faut être patient.

Ici les décors sont à vue parce que je ne voulais pas mentir. Il fallait que la théâtralité soit complètement ouverte, sans faux-semblant. Il y a toujours un faux-semblant au théâtre, donc autant le montrer.
 

Propos recueillis par Raphaëlle Tchamitchian, le 18 août 2023, pour l'Odéon-Théâtre de l'Europe