Visage blanchi, cheveux bouclés, nez rouge, corps plié en deux derrière un petit bureau… Le grand Jacques Weber est méconnaissable en Krapp, vieux clown triste de La Dernière bande. Dans sa turne, abandonné à son magnétophone, à ses bandes et ses bananes – « du poison pour un homme dans mon état » –, Krapp s’adonne à son rituel : s’enregistrer chaque année le jour de son anniversaire, et réécouter des extraits des années passées. Cette année – mais peut-être est-ce aussi le cas toutes les autres années ? – un passage retient plus particulièrement son attention, un passage où il est question de groseilles à maquereau, de roseaux, d’une barque, d’une jeune femme aux yeux mi-clos.
C’est un chef-d’œuvre que nous livre ici Peter Stein, ancien directeur de la Schaubühne de Berlin et l’un des plus grands artistes de notre temps. Un chef-d’œuvre d’autant plus rare qu’il a choisi de monter la première version du texte de Beckett, celle de 1958, qui fait la part belle à la pantomime, à ses rires, sa poésie. Krapp est sur le déclin, comme beaucoup de personnages de l’œuvre de Beckett, mais dans le spectacle qui nous est offert, ce déclin n’a rien de déprimant : c’est un déclin héroïque, un élan de vie drôle et bouleversant.
Samuel Beckett (1906-1989) est un romancier, nouvelliste et dramaturge de langue anglaise et française. Son œuvre, où le comique le dispute en permanence au tragique, ne peut être rassemblée sous aucune bannière. Elle raconte un monde en miettes, où il ne reste plus que des bribes de sens, des éclats de situations, des traces d’humanité.
Peter Stein, né à Berlin en 1937, est cofondateur de la Schaubühne am Halleschen Ufer en 1970. Il y met en scène notamment Le Prince de Hombourg de Kleist (1972) et son adaptation de L’Orestie d’Eschyle (1980). Il reprend sa liberté au milieu des années 1980, continue de se consacrer à la mise en scène (parmi de très nombreuses créations, un Faust en version intégrale en 2000 et Wallenstein de Schiller avec Klaus Maria Brandauer dans le rôle principal en 2007). C’est la seconde fois qu’il travaille avec Jacques Weber, qu’il avait déjà dirigé dans Le Prix Martin d’Eugène Labiche au Théâtre de l’Odéon en 2013.
AUTOUR DU SPECTACLE
Conférence de Charles Méla le vendredi 01 décembre à 18h30